Claude Aghion
10 Janvier 006

 

 

 




 Comment quitter sa maison
**********************************************************************




Demain je la quitte, c'est la fin. Et c'est le début aussi.

Ma maison je l'ai construite seul, de mes mains.
J'ai commencé par le grenier, j'ai continué avec les chambres du premier puis le salon en bas. Pour terminer j'ai construit les fondations.
C'est important les fondations, sinon la maison ne tient pas bien.

Je sais bien que je ne suis pas un architecte classique. Et quand je parle de construire, c'est d'investir qu'il s'agit bien sûr.
En fait la maison était déjà là quand je l'ai connue. Mais pour moi le grenier était ce qui m'a plu en premier. Mon père y avait installé son bureau, immense, mystérieux, comme la maison familiale où j'ai (un peu) grandi.
Une fois installé dans le grenier, je suis allé voir de plus près le salon, puis le reste de la maison.


Cette maison s'est donc construite petit à petit dans mon esprit et elle s'est habitée petit à petit dans mon coeur.
Il m'a fallu du temps pour que j'en arrive aux fondations. La maison n'était plus seulement le lieu d'une habitation, elle avait une assise et des racines pour la nourrir.
Elle était un lieu qui vivait, avec un coeur et une âme aussi, où j'ai mis tout ce qui comptait pour moi : ma nouvelle famille, mes livres bien sûr, mon décors et les meubles (on pourrait dire le paysage).
J'ai inventé mes espaces (ceux que je connais bien et que je fréquente tous les jours), d'autres où je vais me réfugier quand ça ne va pas, d'autres encore où je ne vais jamais, mystérieux, un peu inquiétants.
Ma maison c'est un peu moi-même, une maison que je ne finis pas de construire, de reconstruire, comme on ne finit jamais de se construire.

Mais ces derniers temps, ma grande maison est devenue petite. Maintenant que les enfants sont partis, j'ai de nouveaux projets, qu'elle ne peut contenir. Ses livres, ses meubles, son coeur de pierre et de bois, sont devenus un frein.
Je rêve de renouveau, de liberté, de nouveaux espaces.


Oh j'y reste attaché. Avec ses objets, elle a contenu quelque chose de ma vie d'enfant, de ma vie d'adulte aussi. J'y ai vécu tant de choses et je m'y suis construit, elle m'a construit.
Elle était fermée (un lieu bien à moi) et ouverte aussi (beaucoup de gens y sont entrés et ont eu une influence sur moi et sur elle bien sûr).
Mais elle a vieilli et je n'ai pas envie d'y vieillir.

Une maison c'est un peu comme un cocon, un jour il faut oser s'en aller comme l'ont fait mes enfants et reprendre sa route. Explorer tout ce qu'il y a autour et en dehors. La vie c'est un peu ça, renoncer un jour au familier et explorer à nouveau. Une façon de renaître.


Cette maison c'est un peu moi, c'est beaucoup moi. Tous mes rêves et toute ma réalité.
Je la quitte avec regret bien sûr. Mais la quitter, c'est aussi retrouver ma liberté et me retrouver moi-même. Je suis donc joyeux en même temps que je suis triste, de construire ailleurs.

Liberté d'exister. Et de renaître à nouveau. Il n'y a pas d'âge pour naître...
Et je me demande comment sera ma nouvelle maison. Et comment je serai demain.

 


C'est parti !