Claude Aghion

 

Le Vendredi 7 Mai, damnée 2006.

 

 

 

 

 

 

 

LA MALEDICTION DU TITANIC

 

 

 

 

 

Ah le Titanic !  Quel beau bateau quand même. Et quelle sécurité il dégage !

 

J’ai fait des économies pour payer un dernier grand voyage à ma belle-mère. Comme ça on sera tranquille Poulette et moi. Vous avez bien compris, Poulette c’est mon amie, ma femme comme on dit aujourd’hui. Et Poulette sera contente de savoir sa mère dans ce beau bateau, pour un dernier plaisir.

 

 

 

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Moi le bateau, ça m’embête ! Je suis mieux chez moi au calme, dans notre petite maison qui donne sur la mer. J’aime bien la tranquillité et je donnerais n’importe quoi pour l’avoir et la garder. N’importe quoi.

 

Moi je ne comprends pas les gens qui travaillent comme des fous pour retrouver leurs voisins au bout du monde tout rond, sur ces bacs de sable qui rôtissent en enfer.

 

Je veux bien payer, mais pour faire partir les autres, pour leur faire plaisir, et surtout pour avoir la paix. Ma tranquillité n’a pas de prix.

 

 

 

Poulette est comme moi. Comme moi, elle n’aime pas les gens, se retrouver avec des étrangers qui ne parlent pas comme elle et qui ne peuvent pas lui indiquer la route quand elle se perd. On a horreur des complications.

 

 

 

Sommes-nous des sauvages ? Oui bien sûr.

 

Et notre monde se réduit à peu de choses. C’est comme si le restant du monde n’existait plus. On a cette impression de notre fenêtre qui donne sur le port, quand on voit les bateaux partir, se perdre au loin.

 

En plus les bateaux, moi, ça me fiche la trouille. Pourquoi  risquer sa peau là où on a pas pied et où le parquet qui est sensé me soutenir se dérobe…

 

 

 

Ma belle-mère, moi je n’ai rien contre, mais elle est toujours fourrée dans nos pattes ! Elle fiche la pagaille partout où elle passe et elle provoque des catastrophes à chaque fois.

 

Je parie qu’elle va faire ça sur le Titanic (donner des conseils au capitaine). Pourvu qu’il ne l’écoute pas !

 

 

 

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Le Titanic démarre avec un drôle de bruit.

 

 

 

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J’aimerais parfois qu’elle aille au diable. Je ne devrais pas dire ça. D’ailleurs je ne le dis pas (on ne sait jamais). Mais je le pense souvent en cachette.

 

 

 

…Alors pour me rattraper, je suis gentil avec elle. Toujours prévenant, le lui laisse toujours la meilleure place dans le feu (je veux dire devant la cheminée…) Je lui sers les meilleurs plats. Je lui demande toujours ce qu’elle veut. Même si je ne peux pas toujours le lui donner bien sûr.

 

 

 

Elle me fait l’effet d’une intruse. Ah, si elle pouvait couler. Comme il faut !

 

…Hou là là ! Il ne faut pas dire ça ! Je ne suis pas superstitieux, mais j’y crois quand même. Hou là là... Si un accident arrivait, je ne me le pardonnerais jamais.

 

D’ailleurs, elle ne mériterait pas ça la pauvre. C’est vrai qu’elle n’a pas la tâche facile. Elle essaie d’aider sa fille Poulette (ça c’est naturel), mais les conseils qu’elle lui donne nous mettent chaque fois dans l’embarras.

 

Une vraie malédiction cette belle-mère.

 

Elle est gentille, mais je préfère qu’elle parte loin, très loin, tout à fait loin. Sur le Titanic elle sera bien.

 

 

 

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On l’a accompagné comme il se doit sur ce beau bateau. On a essuyé une larme à l’œil.

 

Et maintenant, de notre petite maison, on voit son bateau s’éloigner, s’éloigner.

 

…On se sent seul tout à coup…