Claude Aghion

 

18 Avril 2004

 

 

 

 

 

LE DICTIONNAIRE DES ANGES

 

 

 

 

Un dictionnaire, c'est tout l'univers par ordre alphabétique.

Anatole France

 

 

 

Un ange à l’école

 

 

 

Prosper ne croyait pas en la Magie. Et pourtant, tout se passait comme si la magie gouvernait son monde.

 

En effet, il y avait la vie… mais aussi les « rêves ».

 

 

 

 

 

Pragmatique convaincu, et angélique à ses heures.

 

Il avait pourtant banni de son dictionnaire tout ce qui évoquait la croyance ingénue, au profit de l’efficacité.

 

Par exemple celle requise pour le « Contrôle Qualité », qui constituait la définition de son travail. Ainsi l’entreprise lui faisait refaire ce qui était mieux fait avant.

 

Puis elle le nourrissait d’un chèque, quand en fin de mois il avait faim.

 

 

 

Les mots de son enfance n’étaient pas bien effacés pour autant. Ainsi… dans un tiroir secret, au tréfonds d’une commode dérobée, en un autre lieu aussi présent que son bureau, ces mots existaient pour de vrai. Lourds de sens.

 

Conçus en lettres d’une taille encore inconnue, petite et grande à la fois, coloriées de palettes naturelles, car appartenant à une langue très inhabituelle.

 

 

 

Une langue fondamentale. Tapie dans les entrailles d’une magie vivante.

 

Vivante comme la vie peut l’être parfois.

 

 

 

Rythmant chaque battement du coeur de Prosper enfant, une lettre, une page, un morceau d’un  puissant grimoire s’était jadis rédigé tout seul.

 

Ce dictionnaire oublié recourt aux mêmes mots que les nôtres pour raconter (mais gravés en un motif différent).

 

Ces petites pierres que sont les lettres, nous paraissent plus complexes et plus simples à la fois, rappelant quelque chose de maladroit de notre enfance. Elles figurent les grains d’une peau frémissante. Et l’ensemble évoque une forme familière.

 

 

 

Ainsi se dessine magiquement, sur chaque face du parchemin, la figure humaine et animale de cette déesse antique.

 

Celle qui nous a fondé avant les autres femmes. Celle que nous avons oubliée, alors que nous ne nous rappelons que des dieux ordinaires.

 

 

 

Cette divinité a été bannie pour avoir inventé le premier langage, celui des rêves. Elle s’éveille lentement dans notre souvenir lorsque nous sommeillons. Et s’enrichit de couleurs humaines qui nous saisissent. Elle ressuscite d’étranges atomes de sa construction immense, en pierres de ciel, de terre et de larmes.

 

 

 

 

Notre première déesse n’a pas renoncé à parler à ses enfants. Elle nous permet à nouveau d’émerger de la brume du monde, pour une vie plus grande. Plus réelle.

 

 

 

On imagine cette figure créatrice, cette écriture d’un ouvrage oublié.

 

Même s’il n’en reste que quelques lignes estompées, ou des inscriptions forgeant un monument brûlant de souvenirs, elle ne peut être autre qu’un regard d’enfant, observant une immense famille d’êtres et de sentiments, qui hante le passé, le présent, l’avenir.

 

 

 

 

L’enfant de l’humanité nous vénèrerait sans doute, si un organisme primitif et malin comme la foudre ou l’adulte, pouvait s’élever, en dehors des saisons ordinaires, en une forme pure, légère, éthérée, colorée.

 

 

 

Pour nous chanter ces mots savoureux d’un dictionnaire d’enfant, même si cela n’a pas de sens pratique.

 

 

 

Comme pourrait le faire un ange.

 

S’il existait bien sûr.

 

 

 

 

 

LE DICTIONNAIRE DES ANGES