Claude Aghion

 

13 Juillet 2002

 

Texte    22

 

Version 12

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L E   T H E A T R E   D E   L' E S P R I T

 

 

 

 

 

 

 

 

 TOC TOC TOC

 

Pas commode cette représentation à minuit. Très dérangeant. Je n'aurais pas du venir. Il y a des jours comme ça. Mais comme je ne vais jamais au théâtre, je me suis dis qu'une fois...

 

Quand même, je ne sais pas ce qui m'a pris. Une influence supérieure peut-être, une prédestination, quelque chose de magique. Qui sait ?

 

Représentation "unique" et le soir. Bon.

 

 

 

Les acteurs seraient, parait-il, des "fantômes" (sûrement des inconnus). Et "le texte n'est pas écrit par avance" (ça promet). Et puis "les spectateurs vont se mêler aux fantômes et devenir comme eux. Ils vont passer leur vie à jouer". Condamnés à jouer. Cons et damnés (en plus ?)

 

 

 

Moi je ne joue pas. Jamais. D'ailleurs ma vie n'est pas drôle. Je ne trouve jamais une seule plaisanterie drôle. C'est peut-être pour ça que je ne suis jamais invité ?

 

Ce sont les autres qui n'apprécient pas les plaisanteries, les miennes quand je fais la gueule quand on essaie de me faire rire (les "ons" sont de plus en plus rares, je dois dire).

 

 

 

Et puis quoi ? Moi je crois pas aux fantômes, ni aux diables d'ailleurs. Je ne crois en rien, même pas en moi. Le parfait agnostique. Et je m'emmerde. Alors je me suis dis que j'allais essayer de m'amuser, juste une fois. Si seulement on pouvait me raconter une blague vraiment drôle, une vraiment vraie. Et qui me fasse rire en plus. Faut pas rêver. Je suis toujours déçu ma chère. Vous êtes toutes pareilles ! Mon adorable grand-mère disait : "pourquoi tromperais-je mon mari, ils sont tous pareils" (sic). Où est-elle maintenant ?

 

 

 

Un squelette au guichet. C'est de l'exploitation ça. Je crois savoir pourquoi je suis venu. La seule chose que j'aime (si l'on peut dire), c'est démystifier. Banaliser. J'ai absolument besoin de vérifier que tout est normal. Bêtement normal, quoi. Les tricheries, la pub, le mystère, les blagues et les surprises, la politique, les monstres, tout ça, ça me laisse froid. Facile à démystifier, cousu de fil blanc. Si seulement il pouvait se passer quelque chose de bien, de vrai, quelque part ! Quelque chose qui pourrait surgir, de l'imprévu, de je ne sais où. Même abominable. Mais il ne se passe jamais jamais rien, nulle part. Il ne peut jamais rien se passer là, en bas.

 

 

 

Le "squelette" à l'entrée ne me fait pas payer. Il a peur que je renonce, ou quoi ?

 

Je suis venu seul. D'ailleurs je n'avais pas le choix (à part de ne pas venir, et encore). Seul je suis (depuis toujours), et je n'ai pas peur du tout. Je n'ai jamais peur de rien, moi. Même quand j'étais enfant. Je ne m'intéressais pas aux histoires incroyables qu'on racontait, dans ma "famille". Et il ne m'arrivait rien à moi. Je ne suis pas concerné. J'ai passé ma vie à m'ennuyer. C'est la seule chose que j'ai réussie, si vous voyez ce que je veux dire.

 

Même quand je vois que je suis le seul spectateur ("futur fantôme") dans la salle, je ne frissonne pas. Je remarque, c'est tout. Même quand je note en plus que c'est très sombre (économies d'électricité).

 

Je me demande si je ne cherche pas à me rassurer.

 

 

 

Une parenthèse. Je ne suis pas de ceux qui sortent armés. Pas de flashballs, canifs, pulvérisateurs pour les yeux et d'autres trucs pour le nez, chewing-gum et fluide glacial. Avec un téléphone portable (un "portable" ! ça m'agace ces mots à la mode, moi qui suis vieux jeu), et des tas de numéros inscrits en gros : Police, Pompiers, Centre anti poison, anti Ovni ou anti Voisins, anti Fantômes. Ou tout à la fois.

Je connaissais une fille comme ça. Armée jusqu'aux dents, avec même des bombes. Et super entrainée. Contre tout. Elle regrettait que personne n'accepte de l'attaquer. Moi, je n'ai jamais été attaqué encore. Ca aurait pu être drôle. Mais non. D'ailleurs même les mendiants ne me demandent rien. Je ne suis pas contagieux, tout de même ?

 

 

 

Il n'y a qu'un seul fauteuil. Sur la scène au milieu des fantômes (comme les rois qui étaient invités au théâtre, avant mon époque). On va pouvoir s'occuper de moi, totalement. "Je" vais être enfin traité comme un roi (moi aussi), dans sa place d'honneur (VIP). J'espère qu'ils ne vont pas essayer de me faire rire avec des blagues à la con, sinon je leur fais la gueule!

 

Le squelette au guichet avait l'air un peu fatigué. Une vie trépidante sans doute. Il ne va pas être dur à balayer au petit matin, je pense. Il ne va même pas s'en apercevoir, effacé comme il est. De toutes les façons, avec ce qu'il devait gagner. Encore une victime de la société "moderne". Il serait bien plus à sa place dans une tombe. J'imagine une sorte de petit Dracula, qui ne supporte pas bien la lumière du soleil, et qui serait au guichet pour mordre les billets dans les films d'horreur. Pas de chance. Ou peut-être un anorexique qu'ils ont sélectionné pour les économies ? Un restructuré. Ca doit être le précédent spectateur devenu fantôme...

 

Après l'avoir fait payer, maintenant c'est lui qui fait payer. On paye après, si on est content ?

 

Eh Eh.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tout se tranforme, comme dit Einstein

 

Sur la scène, ils se rapprochent de moi, de plus en plus. Ils ont une haleine monstrueuse (économies de dentifrice) et des griffes mal lavées (aucune hygiène, vraiment). Avec leurs cornes et leur queue fourchue (déguisés en diables). Ca sent un peu la mort, tout ça ! C'est mieux éclairé avec ce feu qui sort des trous par terre. C'est pratique et plutôt joli.

 

Il y a quelques diables qui volent. Il y en a un aussi qui me fend le cœur avec une fourche. Mais je n'ai pas peur. Chacun fait pareil (il faut pas se gêner !) Je m'en fous, je ne sens pas trop la douleur. D'ailleurs j'ai toujours été insensible à tout. Juste un peu mal peut-être (quand je tombe de mon lit).

 

Je me demande où ils veulent en venir.

 

 

 

Voilà, je me transforme en fantôme. Ce n'était pas une publicité mensongère. J'ai affaire à des professionnels. En tout cas, je ne suis pas surpris, puisque j'ai été prévenu. Eh Eh...

 

 

 

Je vais aller remplacer le squelette au guichet dans l'entrée en haut, qui donne sur la rue du "Sans Façon" (numéro 0). Moi je vais en ramener du monde. "Venez, n'hésitez plus... Entrée gratuite ! transformez-vous en squelette. C'est garanti par la brochure. Amusez-vous (pour une fois). Et en avant les futurs fantômes !"

 

Ils me prennent pour un fou, mais je m'en fous. Rira bien qui rira le dernier. Tiens j'arrive à rire maintenant.

 

"A qui le tour ? Qui sera le prochain "spectateur" ? Vous Chère Madame ? Vous verrez, vous n'en reviendrez pas. En avant !"

 

 

 

Quand je serai devenu complètement squelette, moi aussi je serai remplacé (balayée la vie !) Et j'irai enfin me reposer, et reposer. Dans un vrai tombeau de famille, avec les copains. La représentation est finie pour moi. Sniff ! Finalement c'était bien.

 

Au fond, avant cette histoire, j'étais déjà un fantôme en quelque sorte, je ne pouvais pas tomber plus bas, je crois. Là au moins j'existe, et personne ne m'oblige à rire !

 

 

 

J'ai la chance de vivre ma mort, moi. Et je prends l'ascenseur pour sortir, au dernier sous-sol qui n'a pas de nom, tout au fond.

 

On pourrait appeler ça : "ascenseur pour l'enfer". Eh Eh...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La douleur est une plaie par où l'homme se vide de la terre pour faire entrer en lui le ciel ou l'enfer.

Gustave Thibo

L'échelle de Jacob

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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