Claude Aghion

Un 18 Avril 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA  FLEUR  DU  CIEL

Ou l’avenir d’une petite fleur

 

 

 

 

 

 

Au début était l’autoroute

 

Ce qui lui donna la pensée de peindre un nouveau tableau ? Cette petite fleur, écrasée au bord de la grand’route qu’empruntent ces monstres inhumains. Ces automobiles en armures, de marques imaginaires, qui vivent et puis qui meurent, sur les autoroutes de la vie.

 

Prosper n’avait pas appris à travailler comme nos peintres. Mais il n’était point au désespoir, car il pouvait dérouler son esprit plus loin que leur toile, plus loin encore que l’horizon. Vers cet espace d’éternité, ce vide en lequel pourrait fleurir un jour l’homme, la femme et les fleurs.

 

 

 

Le vide avait toujours attiré Prosper. Ses songes, loin de combler notre antique vision de la peur, la peignaient, la coloraient, la rendaient heureuse et humaine. Ses rêves étaient une ouverture qu’il maintenait grande ouverte, une faille qu’il soutenait de son corps. C’était pour lui une vraie source de vie et de jouvence.

Il désirait de tout son être cet espace en lequel auraient pu exister ensemble l’homme et sa guerre, mais aussi la vie et les fleurs. Un espace qui ne serait plus jamais plein. Qui accepterait que l’on y vienne. Ou que l’on y retourne…

 

Alors, pourquoi pas un tableau à dessiner, plutôt qu’un exemplaire livré tout peint ? 

Tout mais pas ce cimetière infini dans ses limites, sans aucune place ni chemin pour exister, et où les pensionnaires déploreraient une scène passée, oubliée, imitant la vie. Prônant la liberté de la machine et le bonheur des outils.

 

Il ne comprenait vraiment pas pourquoi le vide était pour nos humains la représentation de la première angoisse. Pourquoi la vie nous fait-elle si peur ?

Le vide, c’est la place pour faire quelques pas sans écraser quelqu’un. La toile à réaliser, une histoire à inventer, c’est pour lui l’espoir d’un futur à naître. Dans un univers où l’on n’aurait pas encore tout construit, tout détruit, tout compris, tout rempli de tâches.

 

 

Le monde de maintenant est bardé d’un rouge qui pleure. Tout abîmé avec de jolies couleurs. Complètement aplati et collé sur une toile de peintre tachée par nos guerres. Et porté par un monstrueux chevalet de marbre, depuis la naissance du premier guerrier humain, le premier homme.

 

A son chevet, les étoiles tristes sont impuissantes à le secourir.

Mais la terre ne laisse pas s’approcher le ciel. De sa voix puissante, elle ne veut rien savoir. C’est triste une fleur qui meurt.

 

 

 

Prosper voulait faire un nouveau tableau, un tableau vrai :

 

 

 

 

 

 

Prosper construit un petit chemin

 

Un panneau un peu fragile, un peu penché, gravé de sa plume maladroite (Prosper est un gaucher contrarié), annone ces belles grosses lettres d’un enfant qui chercherait à faire plaisir à ses parents : « MON PETIT CHEMIN »… »

 

Par terre des tout petits cailloux (et quelques-uns plus âgés), déjà tout ronds et un peu ridicules. Des gens rigolos pour faire semblant de surveiller la rosée sur la fleur venue du ciel. Et un petit train en bois (comme les jouets avant, quand il y avait des enfants), mais assez grand pour y mettre tout le monde (même les parents divorcés).

Un soleil bien jaune et puis une grosse lune très pensive avec quelques boutons. Par terre, assez de place pour que l’on puisse dessiner une histoire des petits cailloux et des hommes. Et on se chanterait une chanson très très drôle.

 

Il y aurait des vieux qui seraient restés jeunes, et puis des jeunes qui ne seraient pas devenus vieux d’un coup. Une bonne horloge marquerait une heure incroyable et un vrai coucou en liberté raconterait sa vie aux enfants, qui pourraient poser toutes les questions du monde, et même éternuer.

 

 

Des grandes fleurs joueraient à pousser quelques-unes de leurs pétales vers le ciel, sans avoir peur qu’on ne les embête, puisqu’elles savent bien que le vieux train s’arrête toujours en riant devant elles. Et qu’il préfère même revenir en arrière, pendant qu’on lui construit une nouvelle voie qui fasse attention à la vie de tous les gens du petit chemin.

 

 

Il y aurait des livres, qu’on ne serait pas du tout obligé de lire et qui sentiraient le petit pain frais éclaboussé de confiture.

En plus, tous les animaux pourraient venir dans la salle de classe (même les enfants et même les vieillards). On pourrait (si on veut) s’asseoir sur les nuages pour toucher le soleil (en faisant attention).

 

Il y aurait une télé qui marcherait quelquefois, et qui dirait que des histoires vraies, et on pourrait même devenir intelligent. Des chefs feraient croire qu’ils sont chefs, et on rirait bien. En plus, on ne verrait pas que les films interdits aux plus de 10 ans.

 

 

On ferait quelques murs (il en faut pour la décoration), mais juste assez pour accueillir les vieux tableaux de maître qui se moquent de ces pauvres boîtes de conserve, que les gens croquaient avant, avant que Prosper ne dessine le  « petit chemin ». Cela paraît incroyable quand on y pense. Les grands n’arriveraient pas à faire croire aux enfants que c’était vraiment arrivé.

 

Maintenant les enfants ne croient plus tout ce qu’on leur dit. Ils aiment bien voir avant pour être sûr (et les vieux aussi). D’ailleurs pourquoi les gens du grand monde voudraient se faire manger par des vilaines boîtes en fer pour faire des excès de vitesse. Ils sont pas bêtes tout de même ?

 

 

Les animaux auraient cette fois le droit de parler (et les enfants aussi). Et les adultes écouteraient bien avec leur cœur, pour se rappeler ce que leurs parents leur ont dit d’oublier (avant qu’ils ne se perdent « Chez Prosper »).

D’ailleurs ici, on écouterait plus les bébés que les grands, et le monde tournerait plus rond.

 

Les gens qui feraient la guerre, on les engueulerait un bon coup (en leur expliquant pourquoi), et on leur confisquerait bien sûr leurs jouets dangereux. Et puis, quand ils seraient prêts, ils retourneraient à l’école primaire pour bien débuter dans leur vie d’adulte. Et ce serait les ours en peluche qui leur feraient la leçon.

 

 

 

 

 

 

 

Nota Bene : 

 

Voilà. C’était :

        « La fleur dans le ciel »

          ou

       « Le petit chemin pour aller au ciel »

C’est tout