Claude Aghion

Le 23/9/2015

 

 

 

 

 

 

 

Une feuille blanche

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Avez-vous bien observé un mur de prison ?

 

 

 

Rien n’y est accroché.

 

 

 

Au contraire ce mur, cette feuille blanche, est transpersée comme par des coups de couteaux, par des inscriptions qui s’inscrivent en son être, son non être, son existence d’homme, avant.

 

 

 

 

 

Ce langage signifie, sans une seule goutte de sang versée pourtant, l’existence d’êtres qui ont perdu leur individualité, c’est-à-dire leur existence.

 

 

 

Cette vie d’avant est exposée dans nos rapports, et malgré nos efforts, elle apparaît comme dénudée, effacée, ou ne reflétant rien. Elle se pare en des termes tellement techniques qu’ils nous en paraissent ésotériques, au delà de leur apparence logique. Ces drôles de mots nous semblent à nous qu’ils peuvent faire froid dans nos os comme une mort à l’affut.

 

 

 

Ces êtres vivent une vie de folie soumise à l’examen de chacun. Explications rationnelles qui expliquent que l’être en question, malgré sa liberté offerte par héritage, n’a plus sa liberté, qu’il ne l’a jamais eu de fait, soumis qu’il est à l’absence de conscience (comme si la conscience on pouvait l’acheter au marcher)

 

Il peut jouir à l’opposé de sa pleine responsabilité, liberté qui fait de l’autre et de lui-même un jouet dangereux qui fait mal.

 

Malgré ses paroles, cet être ne peut parler, décider agir, les autres comprennent mieux que lui ses paroles, ses explications. Mais que sens cela peut-il avoir une parole qui n’a pas de sens ?

 

 

 

Il « attend sa sortie » comme on attend l’accouchement de la mère société qui libère un des siens pour lui donner une vie vraiment vraie, après l’avoir été dévoilée, dénudée, habillée.

 

Cette vie future n’existera pas, puisqu’elle sera le résultat d’un acte honteux qui ne s’effacera pas, d’une pensée dans le sens de celle qui aura enfantée d’un acte, interdit, qui n’aurait pas du être, injurieux à l’endroit de la société des hommes et des femmes confondus comme un seul homme.

 

 

 

Ces êtres emprisonnés, sont tous différents, ils se ressemblent tous maintenant. Ils sont devenus des drôles de frères d’une même famille. On les appelle des sujets que l’on repeint noir sur blanc sur les rapports qui signifient leur existence.

 

 

 

On les étudiera soigneusement et humainement, nous pèserons leurs paroles, ou plutôt leur absence de parole.

 

Ces êtres de l’enfer finissent par se ressembler tous, ils ne forment qu’un seul être. Ils sont la figuration de leurs inscriptions sur les murs, pour essayer de faire croire qu’ils existent. Ils habitent tous maintenant sur un même continent et sont retenus par une même façade, un même mur. Ici la porte, le plafond et le sol c’est un mur.

 

 

 

Les inscriptions de ces êtres ne sont pas silencieuses, elles sont parsemées de hurlements, d’explications qui ne veulent rien dire, sinon que la parole et la bouche sont perdues.

 

 

 

Dans cette pièce sans fenêtre pour s’échapper ou bien respirer, ce hall immense où la vie se cherche et ne se trouve pas, ils se rassemblent en figures incertaines qui se cherchent pour se ressembler.

 

On y sent un danger, alors que tout objet dangereux est proscrit.

 

On imagine l’odeur d’un fauve immense qui ne sentirait plus rien, auquel on aurait prélevé, pour les lui rendre plus tard, ses griffes, ses crocs, et aussi sa tête bien sûr.

 

 

 

La promenade, paraît celle d’un long train auquel sont accrochés des wagons vides, vides au delà de toute tristesse. Même la mort en est exclue.

 

 

 

Pour autant ce n’est pas un enfer puisqu’il n’y a pas de diable et que les anges n’ont pas encore été créés.

 

Les serviteurs de ces drôles de créatures, éducateurs, religieux, cherchant désespérément une aide à leur apporter, se meuvent dans une lenteur extrême, promettant une vie qui n’en est plus. On remarque tout de même quelques îlots prenant vie par instants, puis mourant en se dispersant.

 

 

 

Le dieu ici-bas c’est le vide, ponctué par des hurlements qui n’ont pas de sens.

 

 

 

 

 

On est ici en enfer, avant que ses créateurs n’aient été créés, avant l’aventure d’Adam et de Eve, avant que la graine n’ait germée. Avant la naissance d’un dieu.

 

 

 

Naturellement des paroles sont sans cesse échangées, des sentiments exprimés, des actes entrepris. Mais cela paraît comme un théâtre d’ombres, d’existences qui n’ont pas rencontré d’êtres qui accepteraient de les porter. Cela se passe en vérité avant l’enfer, avant ce qui était avant.

 

C’est là la feuille blanche de l’humanité. C’est la voix perdue, la voix d’avant sa création.

 

 

 

 

 

 

 

Existe-t-on quand on ne fait pas les taches qui nous font vivre ?

 

 

 

Ne sommes-nous pas tous des êtres qui se cherchent et qui cherchent les autres, sans mode d’emploi, sans assurance de trouver vraiment quelqu’un.

 

Les autres, nous-mêmes ?

 

 

 

 

 

-----------------------------------------------------------