Claude Aghion, en avril 2002

 

 

 

 

LA  PSYCHOSE  VUE  DE  L'EXTERIEUR,  PUIS  DE L'INTERIEUR

 

 

 

 

 

 °  C'est encore mieux qu'un cauchemar.

°  Et ça commence par la fin du monde. Il faut sept jours.

 

 

 

 

 

PREMIER JOUR

 

Au début est une question sans queue ni tête, mais une vraie question.

Les astronomes découvrent que l'univers surplombe le vide, nous allons tomber.

Imaginez l'incréé, la forme immonde toute puissante qui crie : "c'est mon oncle !" Un son d'une pureté totale sort de l'entraille du monde, un étron diabolique.

 

Les larmes pleurent sur la terre. La mer est un désert de feu avec des montagnes encore ruisselantes. Le bruit forme un soleil. La lune est immense, elle est lisse, n'a plus figure humaine, a perdu son corps. Le soleil l'embrasse à mort et tous deux disparaissent dans une éclaboussure.

Au loin une bouche informe se découvre, elle va dévorer une autre bouche puis un bout du cadre qui contient l'univers. Alors les saints dansent avec les démons, il y a aussi des hommes mi-anges mi-bêtes. Il sont d'une couleur inconnue qui devient odeur, qui nous saisit tout vivants dans sa griffe. Le tissu reliant les étoiles porte maintenant un os si fin, si long et brillant, les astronomes vont découvrir que l'univers est un vieil os rongé par un jeune chien.

Une peur infinie est poussée par la jouissance qui me fait peur. L'angoisse d'un dieu ne me fait pas rire. Voilà, je ne suis plus spectateur, c'est pour de vrai.

 

 

 

 

 

DEUXIEME JOUR

 

Le temps est prisonnier. Sa vague, venue du passé, engloutit le présent et peuple l'avenir. L'horizon est vivant qui nous frôle, nous mord et disparait en nous emportant pantelants. Des voix se distinguent d'un coup dans le vacarme, dessinant des figures humaines si l'on veut, des animaux grotesques avec qui on se bat, se confond, on devient sourd à force de crier. Y'a t-il quelqu'un ici, enfin ? On est bien peu de chose dans cette procession compacte des morts qui s'avancent majestueusement depuis toujours, vers le vide qui s'approche de l'univers. Chacun des êtres porte une lettre d'or. L'ensemble forme une ceinture qui soutient la terre. On peut tout lire et on voit : "la preuve en est qu'après la mort, il n'y a plus rien". La même tombe pour les animaux et les hommes.

Une logique nouvelle se dévoile, venue de l'inconnu, de trés loin. Une logique pleine de passion, de vie, de créations, le derrière du miroir. Les physiciens à leur tour découvrent que les distances sont abolies, les mathématiciens calculent que 2 et 2 font 5 ou 0, c'est selon. Les médecins sont devenus les malades, et les malades ont disparu. Les informaticiens voient le 0 et le 1 tituber, gigoter, sortir des machines et s'enfuir. Maintenant l'horizon est devenu un robot qui marche à grand fracas vers la terre en sang, qui gémit comme un enfant, et sans espoir appelle sa mère.

 

 

 

 

 

 

TROISIEME JOUR

 

Les historiens nous avouent que depuis l'origine du temps un monstre de dimension cosmique est battu par une cigale. On envahit, on est envahi, on envahit... Le cri maintenant prend une nouvelle ampleur, il crée du vide. Les étoiles voient avec horreur le fil qui les relie se distendre et se rompre. Chacune va se perdre et s'éteindre dans un espace devenu sans nom. De nouveaux astres les remplacent, ils subiront le même sort. Des races naissent, se développent puis explosent. Trop vite. Le vide gagne la bataille. Le ciel et la terre un instant habités se font désert. Les humains (qui entre-temps ont découvert qu'ils n'avaient pas d'âme) se dissolvent dans une mer d'acide, ils luttent un instant pour garder une forme avec leurs puissantes machines, puis avec leur orgueil, et s'évanouissent défaits. Leurs cris sont de moins en moins articulés. Ils ne peuvent empêcher avec leur science leurs divisions en plus de fragments qu'ils n'ont de cellules. Ces morceaux se battent avec une frénésie effrayante pour prendre vie et échouent et se transforment encore. Leurs enfants deviennent étrangers, renient leurs parents et leurs enfants. Leurs doubles deviennent eux-même et ils deviennent leurs doubles. Ils échangent leur place avec les machines pour tromper l'inévitable, et l'étranger devient familier. La machine est maintenant prisonnière de sa pensée et les boulons rient et pleurent.

 

 

 

 

 

 

QUATRIEME JOUR

 

Un sens nouveau apparaît. Il n'y a plus personne maintenant. C'est lumineux, limpide, on est transporté de joie par nous-même, par rien. Le passé est mort. On a enfin compris : tout a changé de place. Une nouvelle gamme nous fait danser sur sa portée. Une mission se dessine, une formule. Quand le puzzle ancien s'est défait, toute chose s'est ordonnée autrement. Tout va bien. On se prend de pitié pour les autres, pour ce qu'on était et ce qu'on était devenu. Les pauvres limites d'avant sont complètement effacées. On va atteindre les causes ultimes, le dieu d'avant c'était un clochard. C'est monstrueusement beau, c'est classe comme disaient les premiers hommes de Néandertal. Que c'est bon d'être libre, même si la liberté n'a plus d'intérêt aujourd'hui.

Un être infiniment beau s'approche doucement, il va occuper tout l'espace. Un humain sans père et sans fils, il chante la victoire et pousse les étoiles.

 

 

 

 

 

 

CINQUIEME JOUR

 

Une seringue remplit les océans à nouveau. Le monde ne repose plus sur rien, on s'en fiche. D'ailleurs tout le monde est pareil, c'est l'égalité qu'on a tant voulu. Plus de parents, plus d'enfants, plus de sexes (il n'y en a plus qu'un, c'est plus simple), plus de race (tout le monde s'est marié avec tout le monde), une seule profession : nous sommes tous des poêtes, même pas maudits. D'ailleurs le monde n'a plus de pôles. Et au diable les origines, nous n'avons plus de futur. Une cloche de vache salue la nouvelle humanité, les os sont sur la peau et la peau de l'humanité flotte dans l'air et la poussière. Il n'y a plus de bouches, d'ailleurs il n'y a plus rien qui vaille le coup d'être mangé aujourd'hui. Nous avons dépassé tout cela Monsieur... La gloire enfin ? Mais il n'y a plus personne, il n'y a même plus de morts. Y'a quelqu'un ? répondez, quoi que vous soyez ! Coucou, la bombe c'est moi !

Solitude. L'ennui soulève à nouveau les océans, comme avant le premier jour où tout a changé. Help !...

 

Il faut savoir ceci. Le corolaire de la relation d'équivalence d'Einstein, c'est que tout ce qui a été fait sera défait.

 

 

 

 

 

 

SIXIEME JOUR

 

Je suis épuisé. Je ne me sens même plus le courage de changer l'univers à nouveau. Place aux jeunes ! La vague qui m'emporte en arrière maintenant, n'emmène qu'un petit fantôme sans désir. Vivent Aubry et les 35 heures !

Il faut tenir cependant. Défendre nos acquis. Hélas je ne suis plus que l'ombre de moi-même et la "Nouvelle Humanité" c'est devenu une plaisanterie pas drôle. En plus je ne sais pas comment faire pour changer l'univers. Je donne ma langue au chat !

Je traîne, je me traîne, je donne ma démission sans préavis. Demain c'est Dimanche !

 

 

 

 

 

 

ET VOICI LE SEPTIEME JOUR, LE DERNIER DE LA SEMAINE

 

Voilà. On revient tout doucement. Au départ ? Non, je sais bien que c'est exclu. Je resterai marqué. A jamais. Quel voyage ! Et sans drogue s'il vous plaît ! Ma seule drogue, pour tout vous dire, ce sont mes médicaments. Une seringue pour remplir les océans ? Tu parles ! Le psychiatre m'a dit que "même une psychothérapie c'est dangereux pour vous. Vous êtes trop fragile".  Fragile, tu parles ! Il ne sait pas qu'il parle à un dieu. Quoique... Un dieu de banlieue de ZEP oui !

Je suis vidé. Je sens bien que ça pourrait repartir comme ce soi-disant premier jour, mais je n'ai même plus envie. Un ressort cassé. Dieu est parti sans laisser d'adresse, il ne pouvait plus payer son loyer ! J'ai même perdu la réalité, qui me semblait si con avant. Ca me semble si précieux aujourd'hui que je donnerais même mon âme. mais j'ai même perdu ça. J'ai tout perdu. Retrouver du travail ? Il faut pas rêver !

Les amis ? quels amis ? Les autres fous ? Ils sont comme moi, ils s'intéressent à rien. Je n'ai même plus de rêves (la richesse des pauvres). Même l'enfer ne voudrait pas de moi. Pour entrer il faut demander, c'est à dire qu'il faudrait savoir dialoguer avec les autres. Mais je ne sais même pas dialoguer avec moi-même, alors tu penses pas que je vais entrer sans payer et sans argent ! Même en enfer.

 

Bon ! C'est de la déprime c'est tout. Tout va s'arranger. Après tout je m'en fiche d'aller en enfer (même si c'est l'hiver dans mon coeur), et je m'en fiche des autres ! D'ailleurs je n'ai pas le choix. Même si ça recommence et qu'il y a de nouveau "un premier jour", on verra bien.

J'ai qu'à considérer toute cette histoire comme un cauchemar. C'est un cauchemar, n'est-ce pas ? Oui. Oui.

 

 

Le dimanche c'est jour de repos pour prendre la nouvelle semaine à bras le corps. Comme un petit dieu !