Claude Aghion, dimanche 8 Janvier 006

 

 

 

 

Odeur, es-tu là ?

 

 

 

 

Odeurs, j'ai appris à vous fuir, à vous vaincre, à vous honnir.

 

Grand fumeur depuis ma naissance, cette cigarette, que je ne pouvais plus sentir, a dans sa bonté aboli en moi toute perception.

 

 

 

 

 

 

 

Je sais bien qu'il existe des senteurs ennivrantes : le lilas quand il naît, le café en grains, l'herbe et la pluie, le ciel et le poivre. Mais j'ai appris à accueillir celles que l'on ne sent pas et qui écartent les autres importunes.

 

Ainsi la discrétion du neuf, la distance respectueuse entre les êtres et le silence, la correction, la solitude qui nous protège, me rappellent le calme apaisé, la liberté sans entrave. Enfin ! Ne surtout pas être esclave ou possédé.

 

 

 

 

 

Je tiens les odeurs pour familières et étrangères, indiscrètes et injustes. Elles libèrent des souvenirs que j'ai parfaitement rangé dans ma prison à perpétuité. L'odeur de l'autre réveille sa présence lancinante, sa question insistante. Elle exige une réponse impossible, une nouvelle souffrance quand vous souffrez déjà. Vous n'êtes pas seul malgré votre solitude.

 

Elle rappelle un voleur impoli, à qui vous donnez tout, alors que vous ne l'attendiez pas.

 

 

 

Son absence au contraire me garantit que les choses resteront ce qu'elles sont devenues, que les choses mortelles (et les regrets de la vie), sont bien abolis et que la santé de l'âme est un bien bien acquis..

 

 

 

 

 

Ainsi je me souviens, avec une émotion obscure, de l'odeur chaude et froide du confessionnal de ma première enfance. Cette mixture de familier et d'étranger, d'humains et de dieux, de l'ordre (si l'on peut dire) du désir (qui est forcément quelque chose d'abominable). Le pécher et son ombre : cette pénitence qui arrangeait tout. Et j'étais obligé de demander pardon - pour des bêtises...

 

Imaginez un curé qui s'adresserait à vous en ces termes : "Vous êtes mauvais mon enfant !"  (ou Cher Monsieur).  Qui sussurerait saintement à votre oreille de pénitent : "Et si vous faisiez un petit tour au purgatoire (pour votre bien ?)"

 

Je n'étais pas encore un diable à l'époque, que diable !

 

La rencontre entre l'homme et un dieu a quelque chose de faux, de bête. D'indigeste.

 

 

 

Comme ce gâteau anglais aux petits poix, menthe et chocolat, une odeur de choses épouvantables. Que j'ingurgitais, "en vacances". Ah le porridge ! (ce doit être le plat du jour aux enfers.)

 

Et ces mauvais médicaments à avaler de force, pour mon bien. Comment peut-on guérir avec de mauvaises choses ! Est-ce que l'on fait du bon avec du mauvais ?

 

 

 

 

 

 

 

Je trépigne, je marche dans tous les sens, le passé m'obsède et je me jette dans tous les travaux forcés du monde.

 

A corps perdu je perds et je me perds.

 

Tout est faux, le temps s'est arrété et je ne m'aime plus, j'attends une lettre de Catherine D.

 

 

 

 

 

 

 

Un éclair blanc dans ma boîte à lettres et le soleil se fait calin. Tiens j'ai retrouvé son parfum : le lilas quand il naît,le café en grains, l'herbe et la pluie, le ciel et le poivre.

 

Et je sais ce que cela signifie, c'est le bonheur.

 

Quand il pénètre en vous, tel un voleur impoli, et que vous lui donnez tout, alors que vous ne l'attendiez plus.