Claude Aghion

Un soir du 3 Décembre 2006

 

 

 

 

 MES DEUX INCONNUES

 

 

 

 

L’une est blonde, l’autre l’est moins.

L’une est jolie, l’autre est humaine. Elles se complètent bien.

 

Je joue les indifférents et je sens qu’elle me regarde. Et quand je rentre dans ce lieu, elle croise ses yeux avec les miens et me sourit gentiment.

Sa jolie voisine me fait savoir elle, qu’elle ne m’a pas vu. Je me retrouve transparent – et irrité.

 

Le décor est planté. Un très joli salon de thé, en forme de petit café à l’ancienne, tendu comme un pendentif au sein de la ville infiniment séduisante.

C’est un écrin qui brille de mille feux et qui fait tomber doucement en un sourire la nuit tout autour de nous. Nous sommes seuls au milieu de 1000 étoiles. Au milieu du ciel, plus tout à fait sur terre.

 

Elles parlent toutes deux. Comme savent parler les femmes. Les yeux plongés dans leurs yeux, seules dans l’univers qu’elles rendent visible en partie, seulement quand elles le regardent. Confession à deux voix, sans rien qui se perde, du mot et du corps, du mouvement et de la musique, chacune appartient à l’autre et l’autre qui n’est pas elles, n’existe plus.

Je n’essaie pas de comprendre l’incompréhensible, de démêler les regards des silences, tout ce qui renvoie à des choses que ne pourrait comprendre qu’un dieu qui seul peut comprendre l’humanité des femmes. L’humanité inaccessible à l’homme trop pudique avec les sentiments.

 

Je note encore que je deviens plus transparent encore et je n’ai bientôt plus d’existence qu’un martien dans un salon de thé. Et quand elles se lèvent pour partir, cela est insupportable et je m’écrie : « Déjà ?? »

 

La jolie inhumaine n’a pas entendu, elle est trop inhumaine sans doute. Elle poursuit son mouvement comme si je n’avais pas crié, comme si ma parole n’était pas un cri indigné. Heureusement que je sais au fond que j’existe, sinon je n’existerais pas.

L’autre, humaine comme moi, m’explique qu’elles vont marcher un peu, rompant la bulle dans laquelle elles se protégeaient et celle dans laquelle je menaçais de disparaître, de  m’évanouir.

Sa petite phrase, qui donnait existence à la mienne, était comme une phrase musicale pour moi, expliquant que mon indiscrétion n’en était pas une, enfin pas complètement. Ainsi nous pourrions cheminer ensemble. Et oh miracle, le regard de l’inhumaine s’est posé sur moi.

Et quand nos regards se sont croisés, quand elle a marqué sa présence et m’a permis d’acquérir la mienne, c’était comme si la parole de son amie, était un pont qui nous permettait de nous rejoindre. Elle et votre serviteur. Je n’ai plus jamais revue son amie, celle qui avait tout permis et s’était effacée ensuite comme un songe. Comme une amie.